Pour sortir vainqueur de la grève des cheminots, Emmanuel Macron doit changer de méthode : cesser d’être dur dans les mots et mou dans les actes.
Le quinquennat d’Emmanuel Macron est à un tournant. Il se trouve confronté à une crie sociale majeure avec la grève des cheminots. Ni la France, ni les Français, ni l’État, ni la SNCF, ni les syndicats ne sont en 2018 ce qu’ils étaient en 1995. Mais l’enjeu est identique en raison du symbole social que représente la SNCF, renforcé par le conflit qui enterra le septennat de Jacques Chirac. Soit Macron réussit son pari de réformer le système ferroviaire et la voie s’ouvre vers un nouveau pacte social Soit la modernisation de la SNCF avorte ou se trouve vidée de sa portée – par exemple avec un désendettement sans contreparties modifiant le statut de l’entreprise et des cheminots – , et le quinquennat sera mort-né, l’échec du relèvement de la France ruinant aussi sa légitimité en Europe.
Le président joue son destin sur un coup de dé. Les leçons de 1995 sont loin d’avoir été tirées. La suppression, pour les embauches à avenir, du statut des cheminots ne figure pas dans le programme présidentiel et n’a fait l’objet d’aucune pédagogie. Les risques d’un conflit majeur ont été sous-estimés, qu’il s’agisse de sa dimension existentielle pour la CGT qui joue sa survie, de la nature identitaire du statut pour les cheminots, de la capacité d’innovation des syndicats avec le recours à une grève perlée de longue durée, des conséquences de l’absence de service minimum ferroviaire.
Alors que la SNCF occupe à bien des égards dans les blocages de l’économie et de la société françaises une place comparable à celle des 200 000 mineurs anglais des années 1970, arrimés à leur statut de 1947, l’impréparation des pouvoirs publics français tranche avec l’organisation méthodique mise en place par Margaret Thatcher. Sa victoire sans appel en 1985, au terme d’une grève d’un an et d’une violence inégalée au Royaume-Uni, avait été planifiée à travers les nominations aux postes clés des secteurs de l’énergie et de l’emploi, la sécurisation de la production électrique, la constitution de stocks stratégiques de charbon, le renforcement des forces de l’ordre.
D’où le flottement qui s’est installé dans l’État. Il est révélateur de la fragilité d’une présidence jupitérienne où l’hyper-concentration du pouvoir et sa nature technocratique ont pour pendant le vide de la majorité, la rupture avec les corps intermédiaires et l’éloignement de la société. Il souligne l’angle mort que constituent réforme de l’État et remise en ordre des finances publiques, domaine dans lequel le macronisme se limite à la poursuite du hollandime par d’autres moyens avec la triple envole des dépenses (56,5 % du PIB), des prélèvements (45,4 % du PIB) et de la dette publics (97 % du PIB).
Le quinquennat de Macron n’en reste pas moins l’ultime occasion de moderniser la France de manière démocratique. Le président n’a d’autre choix que de sortir vainqueur de cette grande grève. Ce qui suppose un changement de méthode : cesser d’être dur dans les mots et mou dans ls actes pour se montrer ouvert au dialogue et ferme dans la ligne stratégique.
D’abord expliquer la réforme. Le système ferroviaire se trouve dans une impasse. Il est en concurrence avec les autres modes de transport alors qu’il affiche des coûts de production très élevés du fait de l’inefficacité du capital (lignes et matériels TGV déconnectés de la demande) et des surcoûts du travail (salaires en hausse de 4 % par an en application du statut). Pour une production de 22 milliards et après 11 milliards de concours publics (hors les 3 milliards pour renflouer le régime spécial de retraite), il génère un déficit structurel de 1,5 milliard par an qui grossit la dette de 47 milliards de SNCF Réseau et de 8 milliards de SNCF Mobilités. D’où la nécessité d’un nouveau pacte ferroviaire qui associe ouverture à la concurrence – hors infrastructures – , transformation en société d’État, fermeture du statut qui remonte pour l’essentiel à 1920 et reprise de la dette TGV par l’État.
Ensuite trouver des alliés pour s’assurer le soutien de l’opinion. En recherchant un accord avec les syndicats réformistes. En définissant une stratégie cohérente des transports qui réorientent les investissements vers les besoins des citoyens à travers la remise en état du réseau routier dans les territoires ruraux et la décongestion des métropoles. En aidant les Français dans l’épreuve grâce à la libéralisation des modes alternatifs au chemin de fer, à commencer par la route, et la diminution des taxes sur les carburants pendant la durée du conflit.
Enfin, sous l’avalanche de projets dont on peine parfois – à l’image de la révision constitutionnelle – à comprendre utilité et logique, ordonner les réformes. La transformation du modèle social doit s’inscrire dans une vision de long terme. Les Français n’ont plus besoin de fausses concertations pour soutenir les vraies réformes. Mais à la condition qu’elles leur soient expliquées et qu’elles soient au service du redressement de la France.
(Chronique parue dans Le Figaro du 09 avril 2018)